Le sexe n’a pas d’âge !!!

Soucieuse de traiter d’une réalité souvent ignorée, je n’aborderai pas la sexualité des seniors par le biais de niches anecdotiques ou d’épiphénomènes tels que les seniors de San Fransisco, ou l’augmentation significative en Grande-Bretagne des IST corrélée à la parution des « 50 nuances de gris ».
L’avancée dans l’âge rime souvent avec perte d’autonomie. Le sexologue Philipe Brenot estime que 50 % des sexagénaires n’ont plus de relations sexuelles (le Monde, 6 septembre 2006). La sénescence, la perte d’autonomie, la maladie, les cancers, le deuil du conjoint, l’entrée en institution entraînent pour la moitié des seniors le deuil de leur sexualité de manière sanctionnée ou librement choisie.

« Vieux pervers ! » Vous l’avez au moins tous entendu une fois, même si cela ne vous était pas destiné : à travers le regard populaire, la sexualité des personnes âgées a été souvent mal connotée. Dans nos sociétés judéo-chrétiennes, l’association vieillesse-perversion tient étroitement, au fait que la sexualité n’avait qu’un seul et unique but socialement et religieusement acceptable, la reproduction. Donc passé l’âge de se multiplier, les pratiques sexuelles ou la recherche de leurs plaisirs deviennent déviantes, à l’exception de quelques figures fortunées ou élitistes ou avant-gardistes.

Jeune professionnelle, je me souviens d’un monsieur d’environ soixante-dix ans, légèrement dépendant, résident d’une maison de retraite. Encore très vif intellectuellement, il était le seul ténor de la chorale. Je tiens également à souligner que les hommes ne sont pas très nombreux en institution, au regard de leur espérance de vie moins élevée que celle des femmes. Cet homme posa régulièrement problème au moment des transmissions d’équipe (dont la moyenne d’âge était bien supérieure au mien). De manière récurrente les soignantes se plaignaient de son comportement totalement indécent.

Bien qu’en principe la chambre d’un résident soit considérée comme un espace privé, il n’était pas rare que l’équipe soignante néglige cet aspect par des intrusions intempestives au moment ou celui-ci se masturbait. Les remarques allaient bon train : « Vieux cochon, il est dégueulasse, c’est écœurant à son âge !». Pour se venger de ces insultes et humiliations itératives, lorsqu’il ne se faisait pas surprendre, il gardait soigneusement son liquide séminal en main pour badigeonner la soignante qui venait l’aider à sortir de son lit après la sieste.

L’équipe se mobilisa plus violemment auprès du médecin pour obtenir une prescription de calmant, qu’il accorda en pleine connaissance du motif. J’ai proposé une approche différente à l’équipe : installer des kleenex, un petit sac poubelle et le laisser les avertir quand il désirait se lever après sa sieste, ma proposition resta sans écho. Le calmant agit si bien que notre senior ténor, complètement ensuqué chuta dans l’escalier quelques jours plus tard et mourut des suites de sa chute. Cette situation est loin d’être anecdotique ! Dans d’autres établissements, on leur fait porter des pyjamas intégralement fermés avec zippette dans le dos limitant ainsi l’accès à leur zone génitale…

Nombreux sont les couples arrivant en maison de retraite, se retrouvant placés dans le meilleur des cas dans 2 lits séparés, voire dans deux chambres séparées ou à des étages différents, faute d’anticipation, alors qu’ils ont partagé la même couche durant de nombreuses décennies, et tout ça sans que cela ne choque personne.

J’ai aussi pu être spectatrice de rencontres et d’amours naissants en maison de retraite, réprimandés fortement par les enfants de la ou du concerné(e), sous prétexte de démence débutante (Elle a bon dos la démence…). Étrangement, l’acharnement à empêcher le phénomène était souvent proportionnel à la valeur de l’héritage…

En pourtant, dans Le Traité des Caresses et Le traité des Plaisirs, Gérard Leleu Médecin Sexologue, frustré par le manque de contact humain, ne cesse de faire la lumière sur les bénéfices d’une sexualité plaisir, sans condition d’âge. Les couples qui se procurent régulièrement des caresses, de la tendresse, de l’affection… sont moins sujets à la dépression et à la maladie. Mais malgré les avancées de nos connaissances en la matière, les mentalités restent encore très figées. Les questions autour des relations transférentielles chez les soignants sont trop peu abordées, faute de moyens et de temps (en revanche, les actionnaires de ces établissements touchent de jolis dividendes), et pourtant le point nodal se situe là : que me renvoie ce corps vieillissant et toujours désirant quand il me renvoie à moi ?

Rappelons simplement que près de 10% de la population est aujourd’hui âgée de 75 ans ou plus, et ce chiffre devrait grimper d’ici 2060 à 25 %. Cette population est également l’une des plus touchée par le suicide. Pour Albert Camus, le suicide soulève la question fondamentale du sens de la vie, qu’est-ce qu’une vie sans amour et sans plaisir ? L’OMS renforce le message avec son célèbre adage : il ne faut pas rajouter des années à la vie, mais de la vie aux années. La sexualité n’était-elle la pulsion originelle de la vie ? Alors, même si nos aïeuls ne sont plus en mesure de se reproduire, accordons-leur le droit de jouir encore un peu avant de mourir. D’autant plus que dans les prochaines décennies, il y aura plus d’hommes dans les institutions ou pris en charge à domicile, qu’aujourd’hui, et l’approche de la sexualité en maison de retraite et en institution ne pourra plus être éludée (merci messieurs!).

À mon avis, la relance du débat sur les assistants sexuels n’a pas lieu de se tenir dans ce contexte : une formation du personnel soignant solide et du bon sens permettraient de conserver les petits plaisirs de nos anciens dans le respect des droits humains…

Enfin, nous pouvons saluer la démarche inédite et exemplaire de formation du personnel soignant d’un groupement de maisons de retraite dans le Finistère, qui place au cœur de sa démarche le respect de la vie affective et sexuelle du sujet sénescent.

Info : ligue contre le cancer

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